
C. F. Ramuz – Le Village dans la montagne – La grande Guerre du Sondrebond : Le Village dans la montagne (1908) et La Grande Guerre du Sondrebond (1906), réunis ici en un seul volume, datent de l’époque où leur auteur vivait encore principalement à Paris, entre 1904 et 1914. C’est à Paris en effet que Ramuz fait ses premiers pas dans la République des lettres, à Paris également que, dans la parenté de langue et de culture d’un pays qui lui est cher, il prend pleinement conscience du caractère incontournable de son altérité romande. Ces deux petits ouvrages, l’un en prose, l’autre en vers libres, situés le premier dans les montagnes valaisannes, le second quelque part sur les bords du Léman, sont donc des œuvres de relative jeunesse. Mais elles déploient déjà les deux versants topographiques de l’imaginaire ramuzien et contiennent en germe les thèmes emblématiques de l’œuvre à venir. Preuve que si le jeune Ramuz se cherche encore un style, il ne semble plus avoir de doutes sur son identité d’écrivain.
Le Village dans la montagne (1908) est à l’origine un travail de commande de l’éditeur Payot qui amène Ramuz à quitter Paris pour er quelque temps à Lens, dans le Haut-Valais, où il séjourne à plusieurs reprises entre 1907 et 1908. Sa découverte de la haute montagne et d’une population primitive dont il partage la vie pendant plusieurs mois est pour lui une révélation qui deviendra une source inépuisable d’inspiration. En seize brefs chapitres organisés autour des temps forts de l’année paysanne, Le Village dans la montagne trace le portrait de cette communauté archaïque qui vit en autarcie, à l’écart du monde et de la modernité. Loin de tout folklore, Ramuz décrit avec sobriété ce peuple âpre et fier dans son dénuement, un peuple de nomades où les gens ent la moitié de leurs vies sur les chemins à aller et venir entre leurs villages agrippés sur les pentes, effectuant au gré des saisons et des cultures un voyage vertical qui les ramène toujours à leur point de départ et les fige dans l’éternité.
Si ce haut village valaisan semble avoir été oublié par l’Histoire, celle-ci se trouve au cœur de La Grande Guerre du Sondrebond. Le titre (une déformation comique de Sonderbund — en allemand : alliance séparée) se réfère en effet à la guerre civile de 1847 qui opposa sept cantons conservateurs catholiques aux troupes de la Confédération et aboutit en 1848 à l’élaboration d’une nouvelle constitution. Pour traiter ce sujet ingrat qu’il s’est imposé par défi, Ramuz adopte le point de vue du savoureux Jean-Daniel, un vieux vétéran de 1847 qui aime raconter ses exploits militaires le soir à la veillée. Or en choisissant pour narrateur un octogénaire un peu sénile que plus personne n’écoute, en conférant à son récit un caractère burlesque renforcé par le rythme saccadé de ses vers libres, Ramuz, loin de glorifier cet épisode à l’origine de la Suisse, moderne, lui prête un charme suranné, teinté de dérision. Au soir de sa vie, face au paysage nocturne qui s’offre à lui comme une ultime consolation, Jean-Daniel finira lui-même par s’avouer la futilité d’une guerre dont plus personne autour de lui ne se souvient. Car l’Histoire compte peu chez Ramuz. Jugée « insuffisante », elle est escamotée au profit d’une vision mythique et éternelle dans laquelle l’homme se définit non par son appartenance à une nation en devenir, mais par son rapport à un espace familier qui seul mérite le nom de pays. [Sources : Roger Francillon, De Rousseau à Starobinski, littérature et identité suisse (Presses polytechniques et universitaires romandes 2011) ; Gilbert Guisan, C. F. Ramuz (Seghers 1966) ; Doris Jakubec, « Introduction », C. F. Ramuz, Romans I (Pléiade 2005) ; Jérôme Meizoz, Ramuz, un ager clandestin des lettres françaises (Zoé 1997).]
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Bizarre vos notifications pour parler de La Grande Guerre du Sondrebond! L’octogénaire en question n’est pas tellement sénile, ou en tout cas, ce n’est pas de sa sénilité dont il est question. Et justement là, il est écouté. Tout le texte de Ramuz est là parce qu’on écoute ce « vieux » vétéran, comme vous dites. Car tout est étonnement. La veillée déjà est un événement particulier. Ce récit, ensuite, qui sort de la bouche du vieux ne bassine pas l’auditoire. L’auditoire est suspendu à la façon dont Jean-Daniel retrouve ce récit, près de soixante ans plus tard. Récit au raz des boulets, les pieds dans la gadoue, et non un récit historique. Futilité?! Pas du tout. La guerre est triste, « on n’est pas plus riche de s’être battu », mais ce fut pour Jean-Daniel, et pour tous les trouffions un moment capital, car cette guerre est la preuve qu’ils ont vécu quelque chose, qu’ils pourront raconter. Ils ont existé, et cette existence est maintenant ée, la vie et la société sont différentes, elles n’ont plus, à sa mesure, la même force, les mêmes couleurs (les uniformes avaient des couleurs!), la même intensité. La Grande Guerre du Sondrebond parle d’une vie qui disparaît, qui s’échappe. Et l’auditeur devient le témoin d’un vécu sur le point de disparaître. En ce sens, il est étonné par les mots, le rythme de Jean-Daniel. Sinon il ne resterait pas jusqu’à la fin, il ne serait pas sensible à la lune, au glouglou de la fontaine, aux bruits des pas dans le noir.
Le paysage nocturne ne devient pas une ultime consolation. Absurde! L’auditeur, via les paroles de Jean-Daniel, comprend, redécouvre, ce paysage nocturne, cette lune qui est devant, ce silence qui est assis. Jamais avant ce soir, les gens de la veillée n’avaient senti tout cela. C’est donc l’inverse d’une consolation. Grâce à ce moment rare de suspension du temps, de l’écoute, la lune, le silence, le chant de la fontaine, éclatent, se révèlent à l’auditoire, qui a pourtant é cent fois devant ou dessous sans jamais rien remarqué de spécial.
Ce n’est pas de la guerre dont on veut se souvenir, mais du vécu!
La façon dont on reçoit un livre dépend de son histoire personnelle, de sa connaissance du sujet, …
Merci donc pour votre analyse qui offre un autre regard sur l’interprétation à donner à ce texte.