
Colette – La Retraite sentimentale : Ce cinquième et ultime volume de la série des Claudine nous entraîne à Casamène, la propriété d’Annie où Claudine a trouvé refuge pendant que son mari Renaud soigne ses poumons dans un sanatorium en Engadine. Trois ans se sont écoulés depuis les événements de Claudine s’en va et les deux vagabondes renouent leur amitié dans une solitude où la nature et les animaux domestiques leur tiennent lieu de consolation et de compagnie.
Le roman commence à l’automne et s’achève au printemps, couvrant une période de gestation d’à peu près neuf mois durant lesquels Claudine se détachera peu à peu de Renaud pour renaître à elle-même sous une forme plus authentique et enivrante. Dans ce processus de métamorphose, la nature à demi sauvage du jardin de Casamène joue un rôle capital. Aussi fait-il l’objet de somptueuses descriptions qui dotent ce lieu matriciel et paradisiaque d’une dimension picturale digne des meilleurs impressionnistes. « [C]e pays […] réunit l’âpreté d’un midi de mistral, les pins bleus de l’est, et du haut de la terrasse de gravier, on voit luire, très loin, une froide rivière, argentée et rapide, couleur d’ablette. […], une treille de muscat noir, mystérieusement nourrie, s’est élancée, vigoureuse, a couvert et effondré un poulailler, puis, ressaisissant le bras d’un cerisier, l’a noyé de pampres, de vrilles, de raisins d’un bleu de prune qui s’égrènent déjà. Une abondance inquiétante voisine ici avec l’indigence pelée des rocs mauves qui crèvent le sol, où la ronce même ne trouve pas de quoi suspendre ses feuilles de fer hérissé. »
Lors de leurs longs tête-à-tête dans le jardin et la campagne avoisinante, Annie, pourtant si pudique, finit par lever le voile sur sa vie privée et révèle à son amie qu’après avoir quitté son autoritaire mari, elle s’est découvert un maître plus tyrannique encore : non pas l’Amour avec un grand A, tel que le professe encore Claudine pour Renaud comme pour mieux s’en convaincre, mais un besoin irrépressible de jouissance qui la rend folle de son corps et esclave de ses sens.
Le calme qui les entoure est bientôt troublé par l’arrivée intempestive de Marcel, le fils de Renaud — un parasite du même âge que sa jeune belle-mère, toujours à court d’argent et mêlé à des histoires de mœurs avec des « jouvenceaux » dont il se prétend la victime. Agacée par ses prévarications et son histrionisme, Claudine cherche à se défaire de lui au plus vite, mais Annie, fascinée par son irrésistible beauté d’ange déchu, l’incite au contraire à rester. Face à ces deux êtres si opposés et pourtant si semblables dans leur insatiable besoin de « chair fraîche », Claudine éprouve une curiosité trouble mêlée d’une pitié ironique qui masque mal son malaise grandissant vis-à-vis de son mari que la maladie éloigne et transforme peu à peu en vieillard.
Le roman s’achève brusquement avec le retour et la mort subite de Renaud, que le récit élude. On ne l’apprend que dix-huit mois plus tard, dans un bref épilogue où Annie rend visite à son amie à Casamène, dont elle lui a fait cadeau entretemps. À sa grande surprise, Annie y découvre non une veuve éplorée mais une Claudine plus libre et plus vivante que jamais parmi les bêtes et les plantes.
« Willy se trompa si peu sur le désir inconscient que charriait la mort de Renaud, qu’après La Retraite sentimentale, paru après [leur] séparation et signé de la seule Colette Willy, il ne nomma plus son ex-épouse que “ma veuve” » (Sarde*). Malgré leur divorce prononcé en 1910, Colette mit longtemps à s’affranchir de l’emprise littéraire de son premier mari. Ce n’est qu’en 1923, à l’âge de cinquante ans, qu’elle abandonna définitivement la signature hybride qui la rattachait encore à Willy pour ne plus publier désormais que sous le seul et beau nom qui fut d’abord le patronyme de son père avant de devenir l’instrument d’une renommée qu’elle se forgea à part entière.
*Sarde, Michèle. Colette libre et entravée. Paris : Stock, 1978, 193.
Photographie de Colette regardant par la fenêtre, auteur inconnu
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Merci beaucoup pour votre travail.
Merci beaucoup Patrice.
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