Hoffmann E. T. A. – Nouvelles musicales

Hoffmann E. T. A. – Nouvelles musicales: Ces cinq histoires d’E.T.A. Hoffmann (1776-1822), traduites en 1829 et réunies à cette occasion sous le titre de Nouvelles musicales, sont l’œuvre d’un auteur considéré en comme l’initiateur post hoc du genre fantastique [Malrieu 16]. Elles nous plongent dans un univers étrange, à la frontière de la réalité et du rêve, de la raison et de la folie [Gorra]. Les lieux du récit sont généralement clos, sombres et mystérieux, comme hors du temps et du monde, telle la demeure surannée du chevalier Gluck, ou celle, farfelue, du conseiller Krespel. Les intrigues se déroulent dans la demi-obscurité des salles de concert, la pénombre enfumée des cafés, dans une curieuse loge de théâtre attenante à une chambre d’hôtel, ou encore dans un cabinet privé où se produisent des automates qui ressemblent à s’y méprendre à des musiciens en chair et os

Les personnages sont tous des musiciens, ou du moins des mélomanes avertis, à commencer par les multiples narrateurs qui sont souvent compositeurs ou critiques musicaux (à l’image d’Hoffmann lui-même). Issus de la bourgeoise professionnelle, ces hommes respectables et dignes de foi se sentent toutefois un peu étrangers parmi leurs semblables. Pour eux en effet, contrairement à ces Philistins qu’ils méprisent, la musique n’est pas qu’un simple divertissement ; elle est un phénomène envoûtant et perturbateur, « un inépuisable sujet de controverses » [Cœuroy 13] par le biais duquel l’auteur, à peine dissimulé derrière des narrateurs qui lui ressemblent comme des frères, s’interroge, non sans humour, sur la relation de l’artiste au monde et à lui-même.

Tous les personnages féminins possèdent des voix d’une grande beauté qui les place au-dessus du commun des mortels. Leurs prénoms à résonance étrangère (Donna Anna, Antonie, Lauretta & Térésina) contribuent à faire d’elles des êtres exotiques, idéalisés et, jusqu’à un certain point, interchangeables. Ces figures féminines ne vivent que pour et par la musique, ce qui mène deux d’entre elles (Donna Anna et Antonie) à leur perte. Mais mortes ou vivantes, c’est à elles que leurs irateurs doivent « l’éveil de [leur] chant intérieur ».

Les autres personnages sont des êtres marginaux entourés d’un mystère impénétrable. Le vieillard chenu qui se fait er pour Christoff Willibald Gluck est-il un imposteur de génie, ou, comme il le prétend, le compositeur d’Armide, décédé deux décennies auparavant ? De prime abord, le conseiller Krespel apparaît comme un doux original fasciné par la puissance sonore des violons de Crémone, au point qu’il n’hésite pas à les démanteler pour débusquer leur secret. Mais cet excentrique parfois brusque et colérique ne serait-il pas aussi l’assassin de sa fille Antonie, qu’il empêche de chanter en la retenant prisonnière ? Et que penser de l’énigmatique Professeur X dans Les Automates, qui viole les lois de la nature et marie le mécanique et le vivant ? Nul ne le sait au juste, et c’est précisément cette hésitation entre l’incroyable et l’indubitable qui fonde le fantastique hoffmannien.

Figure majeure du Romantisme allemand, E.T.A. Hoffmann inspira à Freud son concept d’« inquiétante étrangeté » (1919) et laissa une trace indélébile dans la culture littéraire, musicale et psychanalytique des 19e et 20e siècles. Né à Königsberg en 1776, il ne devint écrivain que sur le tard, dans les treize dernières années de sa vie. Après une formation de juriste, le jeune Hoffmann s’essaya au dessin et à la peinture, travailla comme pianiste et accompagnateur, fut nommé chef d’orchestre, directeur de théâtre et critique musical, avant de se tourner vers la littérature, tout en occupant avec conscience son poste de haut fonctionnaire dans l’istration prussienne berlinoise. ionné de Gluck, Beethoven et Mozart (en l’honneur de qui il adopta le prénom Amadeus), il fut également un compositeur de talent (son opéra Ondine fut créé à Berlin en 1816). Ses contes et nouvelles, appréciés par Heine et Schumann mais dédaignés par Goethe, furent relativement peu connus de son vivant mais rencontrèrent un succès posthume considérable. Traduits en plusieurs langues à partir des années 1830, ils exercèrent une profonde influence sur le développement de la nouvelle au 19e siècle, tant en qu’en Amérique et en Russie [Gorra].

[Sources : Joël Malrieu, Le Fantastique (Hachette 1992) ; André Cœuroy, Musique et littérature (Paris, Bloud & Gay 1923) ; Michael Gorra, The Storytellers (University of Chicago Press, à paraître).]

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