
Moncrif François-Augustin Paradis de – Les Chats : Cet essai épistolaire, écrit en 1727, est le premier livre français entièrement consacré aux chats. Il commence par onze lettres, structurées, adressées à la Marquise de B. (probablement de Breuil). Il s’attache à leur réhabilitation. Il y prend la défense du chat avec de nombreuses références dans différentes cultures, notamment à l’ancienne Égypte, par des observations sur les capacités des chats domestiques et par la critique du traitement qui leur est fait. La deuxième partie reprend des poèmes de du Bellay et de Madame Deshoullières ainsi que de fables la Fontaine favorables aux chats.
Et pourtant, après une période de succès, l’ouvrage « fut très vite vilipendé pour être enfin rejeté dans les oubliettes de l’histoire – comme dirait l’autre – pour cause d’ostracisme […Moncrif] fait d’ailleurs partie du lot des écrivains du XVIIIe, soigneusement occultés, parce que jugés “décadents” » (Catsaras, 1989). Le « Brevet du Regiment de la Calotte, en faveur du Sr. Paradis, de Mongrif », en fait un androgyne sans « Traits, ni de femme, ni de mâle,/Mais, neutres, sans poil au menton » (Kaibira, 2021). Lorsqu’il fut reçu à l’académie française, un chat fut lâché dans salle. Voltaire appela Moncrif « historiogriffe ». Finalement, Moncrif renia son ouvrage.
Est le sujet des chats qui pénalisa Moncrif ?
« Childless cat lady » (femme à chats sans enfant) est dans l’actualité récente. Il se réfère à l’expression crazy cat lady, la folle aux chats qui l’accompagne (Debest, 2014). C’est dire que dévalorisation de la relation « affective » à ce félin persiste de nos jours, comme une folie de femme ou, pour le moins, comme l’égarement affectif d’une femme en manque d’enfants.
Nos rapports avec les chats domestiques sont anciens : il débutèrent il y a 12’000 ans avant notre ère, lorsque les peuples de Mésopotamie purent les domestiquer. Ils connurent de nombreuses évolutions. Les chats furent divinisés dans l’antiquité que ce soit avec Basket des Égyptiens, Sastht en Inde, Li Shou en Chine ou Freya en Europe du Nord. Ils étaient associés à la fertilité, parfois également à la mort ou, en Chine, à la création* (Mark, 2012). Dans la mythologie grecque, Artémis adopta un chat**, mais l’image de ce félin est alors autant négative que positive. Il en va de même sous les Romains, malgré des figures comme celle de la déesse Libertas. Au Moyen-Âge européen bien qu’ils fussent utilisés comme chasseurs de rats, l’image négative des chats trouva confirmation, en 1233, dans la bulle Vox in Rama (Ostero, 2018) où le pape Grégoire IX décrivit Lucifer incarné par d’énormes chats. Les chats suscitèrent désormais parfois la peur – telle celle de Ronsart s’enfuyant à leur vue – ou furent brulés lors des fêtes de la Saint-Jean. Avec les Lumières et le recul du merveilleux chez les élites au profit du tangible et du palpable (Kaibira, 2024), la « promotion du chat de compagnie était un phénomène littéraire et médiatique, mondain et féminin, ancré dans le contexte particulier de la culture galante du règne de Louis XIV » (Kaibira, 2021).
Ainsi, sous la Régence, lorsque ce livre fut publié, la cour et le jeune Roi appréciaient les chats. Les lettres de Moncrif sont alors adressée à une femme du monde sur le ton d’un confident mondain et enjoué mais avec un texte marqué de nombreuses références qui montrent érudition et recherche.
Et ce fut précisément non seulement le thème des chats mais aussi, ce mélange des genre qui suscita critique et dérision.
Le chat de compagnie, d’abord, était déjà vu comme un absurde objet de divertissement de mondaines désœuvrées, « bêtes indociles, qui molement nouries sur des quareaux, & s’oubliant de leur condition, dédaignent de prendre les souris ? » comme l’écrivait un « best seller » de l’époque. (Vigneul-Marville cité par Kaibira. 2021).
Sur le texte, Groz de Boz, rédacteur de La Bibliothèque françoise cité par Tomiho Kaibira s’attaque à son propos : « Il vous a d’abord présenté un auteur charmé de Badiner avec son objet et nullement déterminé à l’épuiser par de profondes recherches ; en voyant, d’ailleurs, qu’il les adresse à une Dame, vous avez, sans doute, jugé qu’il ne pouvoit trop éviter de les charger d’un détail d’érudition, plus propre à l’ennuyer qu’à l’instruire ». (2021). Ainsi, si femmes ne pouvaient être trop chargées d’informations cela confirmait la valeur minime de la recherche ! Dans son ouvrage sur Moncrif historien des chats, Kaibira écrit : « Cette réception peut être placée dans le contexte de la Querelle des Anciens et des Modernes, qui opposait deux modèles de masculinité. Au risque de simplifier à l’excès, on peut associer aux Anciens la masculinité érudite, ancrée dans la sociabilité non mixte des hommes savants. » (id.)
Cet essai fut donc critiqué pour, en quelque sorte, deux « fautes ». La première, aux yeux des « Anciens », fut celle de la forme de l’écrit : la mondanité de Moderne, « la masculinité galante » comme l’écrit Kaibira (id.) rompt les codes de la recherches sérieuse, celle de la masculinité érudite. L’autre fut celle d’un homme traitant avec sérieux un sujet de femme. Moncrif le paya cher.
En résumé, malgré ce qui précède, ce livre sérieux et intéressant, plein de citations d’auteurs anciens, le tout est narré avec beaucoup d’esprit permit, par sa réhabilitation des chats, la naissance « d’une communauté d’affection » d’hommes comme de femmes, à l’égard des chats (Kaibira, 2021).
* Les chats perdirent la maîtrise de la création au profit des humains car ils furent trouvés endormis par les dieux.
** Elle choisit félin chasseur plus petit en rivalité avec son frère Apollon qui possédait un lion.
[Sources : Catsaras, M. (1989. Histoire des chats, par François-Augustin Paradis de Moncrif, 1 vol., in 8°, Ed. Quillau, Paris 1727 [compte-rendu] : Bulletin de l’Académie Vétérinaire de , 142-3 pp. 367-372 ; Kaibara, T. (2021). Moncrif, historien des chats Masculinité et émotion dans la des Lumières. Clio. Femmes, Genre, Histoire, Animaux, 55(1), 69-90. https://doi.org/10.4000/clio.21280 ; Debest, Charlotte (2014). Le Choix d’une vie sans enfant : Presses universitaires de Rennes ; Mark, J. J. (2012, novembre 17). Les Chats dans le Monde Ancien [Cats in the Ancient World]. (C. Martin, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-466/les-chatsdans-le-monde-ancien/ ; Ostorero, Martine (2018), Des papes face à la sorcellerie démoniaque (1409-1459) : une dilatation du champ de l’hérésie ? in Mercier, F. et Rosé, Isabelle, Aux marges de l’hérésie : Presses universitaires de Rennes, 153-184 ; Kaibara, T. (2024). Le désenchantement du chat : deux romans fantastiques au seuil de la modernité féline : Revue semestrielle de droit animalier, Jul, https://www.revue-rsda.fr/articles-rsda/7609-le-desenchantement-du-chat-deux-romans-fantastiques-au-seuil-de-la-modernite-feline.]
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